L’Institut français de Côte d’Ivoire organise un cycle de débats d’idées, depuis janvier et jusqu’à juin 2021, sur la thématique « Indépendances, décolonisations, identités ». Le cycle repose sur un ensemble de sept débats d’idées et s’accompagne de la production de podcasts pour approfondir les débats.
Le cycle de débats proposé par l’Institut français de Côte d’Ivoire interroge les indépendances, les décolonisations et de leurs impacts sur nos identités, nos pensées, nos créations. Ce cycle s’inscrit dans un mouvement de fond, culturel, sociétal, artistique, qui a fait des questions liées aux indépendances, à la décolonisation et à leurs héritages un sujet incontournable du débat public français et international.
Depuis plusieurs années, le sujet de la décolonisation de la pensée, augmenté de réflexions sur la décolonisation de la création artistique, de la production et de la diffusion de savoirs et de pratiques culturelles, a émergé comme un élément incontournable de la réflexion en France comme à l’étranger. La thématique de la décolonisation de la pensée et de la création s’est progressivement émancipée d’une tradition qui la concentrait artificiellement au champ des sciences sociales et politiques.
Comme l’écrivait Achille Mbembé, aux mains des juristes et des historiens, la décolonisation est devenue un concept et un événement historique « mal définis », plutôt que d’être considérée comme un processus et une dynamique de fond. Une définition chronologique de la décolonisation, qui s’achèverait avec « les soleils des Indépendances », selon l’expression d’Ahmadou Kourouma, présente de nombreuses limites. Elle fige dans le temps. Elle fait du sujet un pur objet d’histoire. Elle ne fait pas le lien avec son héritage et son impact sur les identités aujourd’hui. Or, c’est bien la reconnaissance progressive de cette dimension essentielle qui a conduit le sujet en dehors de ses frontières chronologiques et l’a mené dans l’espace public.
Les artistes, les musées, les universitaires, les philosophes, les médias : tous se sont pleinement emparés de cette thématique. C’est le résultat de deux lames de fond concordantes : la volonté de comprendre et la nécessité d’expliquer. Parler de cette thématique c’est à la fois occuper l’espace public en promouvant des discours issus d’une intelligence collective, afin de ne pas laisser cet espace en friche, ou dans les mains d’acteurs aux logiques d’exclusion : si « la mémoire divise, l’Histoire peut rassembler », écrivait Pierre Nora dans une belle formule. Dialoguer sur ces thèmes, c’est aussi déconstruire et reconstruire nos identités respectives sur la base d’une vision définie en commun.
Ce cycle s’inscrit donc dans une actualité marquée par les travaux de nombreux auteurs et penseurs sur ces sujets, avec le souhait de faire progresser la compréhension de notre histoire commune, passée et présente. « Le retour de mémoires souvent antagonistes, autour de la question coloniale et de l’esclavage, a braqué à nouveau le projecteur sur un pan de l’histoire nationale française longtemps négligé », écrit Benjamin Stora dans le rapport remis récemment au Président de la République. Les jeunes, en France comme dans les anciens pays colonisés par elle, sont « aujourd’hui accablés par le poids de l’Histoire, qu’ils esquivent », rappelait Pierre Nora. Offrir des espaces de dialogue permet de créer « des contre-feux nécessaires aux incendies de mémoire enflammées », d’« ouvrir la possibilité du passage d’une mémoire communautarisée à une mémoire commune », de « sortir du dilemme entre trop plein et absence de mémoires », de « chercher à expliquer ensemble l’événement colonial, sans croire que tout pourra se trancher en un verdict définitif », enfin, « d’aller vers la compréhension de notre propre passé », pour reprendre les conclusions du rapport Stora.
Ce cycle de débats d’idées s’inscrit désormais aussi dans la perspective du nouveau sommet Afrique-France qui aura lieu à Montpellier en juillet 2021. Le Président de la République a confié à Achille Mbembé la tâche de travailler à un dialogue ouvert et direct avec les jeunes générations du continent africain afin de faire émerger des propositions fortes pour l’avenir de la relation entre la France et le continent. C’est la logique dans laquelle s’inscrit le cycle de débat de l’Institut français de Côte d’Ivoire : questionner les fondamentaux de cette relation, dialoguer de manière libre et sans tabous pour bâtir l’avenir en commun, décoloniser les mentalités de part et d’autre. Achille Mbembe expliquait à Jeune Afrique que « refonder une relation, c’est apprendre à regarder ensemble à partir de plusieurs paires d’yeux à la fois en accordant une égale dignité aux héritages intellectuels des uns et des autres ». Il y a dans ces travaux une importante volonté de proposer du contenu utile en France, avec la conviction rappelée par Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, que « la mémoire de l’esclavage et de la colonisation n’est pas une autoflagellation mais un processus sain et nécessaire ».
La nouveauté de ce cycle réside également dans son format. Exclusivement basé sur des débats « hors-les-murs », le cycle veut mettre à l’honneur la parole de la jeunesse dans ses quartiers et ses espaces sociaux. Tous les débats auront lieu dans des sites différents (musées, mairies, écoles, universités, galeries, places publiques, complexes sportifs), dans des quartiers différents (Abobo, Treichville, Koumassi, etc), avec des publics différents, sur des thématiques différentes. L’unité du cycle vient de sa thématique générale et de son mode opérationnel : dialogue (et rejet du format de la conférence magistrale), proximité entre les panélistes et le public, forte mobilisation des acteurs locaux, liberté de ton. Tout le cadre est pensé pour favoriser la prise de parole des jeunes. L’empreinte des équipes de l’Institut est très légère : elles fournissent un cadre mais n’interviennent jamais dans les échanges.
7 rendez-vous
La Nuit des Idées
28 janvier 2021
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Le lancement du cycle a eu lieu le 28 janvier 2021 au Musée des cultures contemporaines Adama Toungara (MuCAT) d’Abobo, dans le cadre de la 6e édition internationale de la Nuit des idées, consacrée au thème « Proche(s) ». Le débat avait pour objectif de questionner l’impact des héritages de la colonisation et de la décolonisation sur nos identités. Les deux cent participants d’Abobo, commune très populaire d’Abidjan, et les panélistes se sont pleinement emparés de ces questions. Cinq personnalités composaient un panel d’intervenants : Binda Ngazolo, conteur camerounais a fait office de maître de cérémonie; retenus en France, Maboula Soumahoro, maitresse de conférence franco-ivoirienne et Blick Bassy, artiste camerounais étaient en direct via la plateforme Zoom; Roukiatou Hampâté Ba et Yacouba Konaté étaient présents au MuCAT. Des performances d’Adama Dahico et du Collectif Au Nom du Slam ont complété cette soirée d’échanges.
Décoloniser les arts
25 février 2021
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Le deuxième débat a permis à une centaine d’étudiants de l’INSAAC, institut regroupant les établissements de formation aux métiers de la culture à Abidjan, d’échanger sur leurs pratiques, leurs regards, leurs identités et parcours artistiques et professionnels. Ils étaient entourés, dans un atelier de sculpture de l’école, du romancier ivoirien Gauz et de la critique d’art Isabelle Zongo. Anna-Alix Koffi assurait la modération tandis qu’à distance, Françoise Vergès et Karim Miské apportaient également leurs éclairages et questionnements.
Femmes et indépendances
9 mars 2021
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Dans le cadre de la semaine des droits des femmes, un débat s’est tenu à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Il portait sur le rôle des femmes dans les processus de décolonisation et d’indépendance. Avec Sylvia Serbin, Désirée Dénéo, Sylvie Gougoua et Orphelie Thalmas à la modération, les débats ont mis en lumière l’histoire trop méconnue de l’engagement des femmes dans l’indépendance de leurs pays.
L’avenir de la langue française et des mondes francophones
C’est dans la commune abidjanaise de Treichville, nommée d’après un ancien administrateur colonial de la Côte d’ivoire, que se déroule le quatrième débat. Il s’inscrit dans le cadre de la semaine de la langue française. Le français est la langue officielle de la Côte d’Ivoire. Il s’adapte au contact des langues et réalités locales, se diversifie, s’enrichit. Avec Michel Foucher, géographe auteur de l’Atlas des mondes francophones, le professeur Jérémie Kouadio, la slameuse Amee, il s’agira de mettre en avant cet outil adaptable, porteur d’idées et de valeurs qu’est notre langue commune, et d’en comprendre les grandes dynamiques. Créativité, multilinguisme, émancipation, pluralité, identité seront autant de thèmes au cœur des échanges.
En avril 2021
Restitutions
Essentielle, largement évoquée depuis le rapport de Felwine Sarr et de Bénédicte Savoy, la question de la restitution à l’Afrique du patrimoine acquis pendant la colonisation est devenue un sujet majeur du débat public en Afrique et en France. Les lois adoptées pour consacrer les restitutions vis-à-vis du Sénégal et du Bénin ont constitué une importante avancée. En Côte d’Ivoire, les autorités ont émis le souhait de recevoir le « tambour Ebrié », présent dans les collections du musée du Quai Branly. Sur ce sujet politique et patrimonial, il n’y a pas encore eu de débat de fond en Côte d’Ivoire, ouvert au grand public, et animé par des acteurs qui connaissent finement ses problématiques.
En mai 2021
Héritages
La question de l’héritage de la période coloniale et de la colonisation pour les jeunes Français est cruciale aujourd’hui. L’étant également pour les nouvelles générations du continent africain, il est particulièrement intéressant d’évoquer ce sujet à Abidjan, en présence de participants qui représentent ces nouvelles générations et leurs aspirations, qu’ils soient ou non porteurs d’une double identité. Interroger les expériences subjectives, les histoires familiales, les récits ancrés et les événements qui sont tus, c’est aussi définir des bases communes pour déconstruire nos regards et préjugés et reconstruire ce qui fait le ciment de nos identités. Comment évoquer ce passé qui souvent ne passe pas ? Comment trouver les bons exemples pour travailler au contraire sur une approche commune, objective de ce passé et de son héritage ? Comment continue-t-il encore de façonner nos identités ?
En Juin 2021
Clôture du cycle Indépendances, Décolonisations, Identités
Cet événement marquera la clôture du cycle « Indépendances, Décolonisations, Identités », dans un lieu emblématique de l’amitié franco-ivoirienne, l’Agora WinWin de Koumassi, espace conçu pour le sport et la culture avec un accès facilité pour les jeunes de la commune populaire de Koumassi (Abidjan). Cet événement ne fera pas que tirer le bilan de ce cycle inédit : il aura également vocation à proposer des solutions pour revoir les fondamentaux de la relation entre la France et le continent.
Pour aller plus loin: des podcasts made in Institut français de Côte d’Ivoire
Le cycle de débats proposé par l’Institut français de Côte d’Ivoire est résolument orienté vers le numérique et les nouveaux espaces de diffusion et de création de contenus. En partenariat avec l’association Making Waves, spécialisée dans la création de podcasts, de jeunes influenceurs et journalistes ivoiriens et ivoiriennes ont été formés à la réalisation de podcasts.
Episode 1 : Décolonisons les corps
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Responsable du projet: Clément Hervé, Conseiller de coopération et d’action culturelle adjoint à l’Ambassade de France en Côte d’Ivoire