Objet d’une banalité extrême, le déchet constitue un miroir de nos sociétés. Les débats « City of Waste » souhaitent questionner le rapport ambivalent de nos sociétés urbaines aux déchets par la mise en lumière des « travailleurs des déchets» (Corteel, Le Lay 2011), en Inde et dans le reste du monde à travers une série d’événements grand publics conçue autour d’une exposition de photographies, d’un film et de tables rondes.

Figure paradoxale, le «chiffonnier» est invisible et invisibilisé, tout en étant présent et identifiable dans l’espace public ; il vit, le plus souvent dans les marges urbaines, tout en ayant une connaissance très fine de la ville, des citadins et des rebuts de celle-ci (Cirelli, Florin, Bercegol, 2019). Les événements intitulés « City of Waste » proposent un retour réflexif sur les rejets générés par nos sociétés urbaines à partir du cas indien et de ses « travailleurs des déchets ». Dans la continuité du programme national « Nettoyer l’Inde » («Swachh Bhârat Abhiyan »), cette initiative répond à un besoin urgent de compréhension des dynamiques à l’œuvre dans la gestion des déchets urbains et ses effets socio-environnementaux.

A la différence des pays du Nord où il relève d’une logique environnementale, le recyclage relève avant tout d’une logique de nécessité dans les Suds et c’est dans ce sens qu’il est communément pensé. Cependant, il serait réducteur de n’appréhender la problématique des déchets qu’à travers le spectre de la pauvreté qu’elle connote. Des filières « informelles » de récupération des déchets secs existent depuis longtemps en Inde comme ailleurs, et ces dernières sont parfois jugées plus efficaces que les services formels « modernisés » dans les pays du Sud. Sans nier le caractère marginalisant de l’activité, particulièrement en Inde (Bercegol, Gowda, 2021),  les études pionnières de Furedy (1984) ou de Mukherjee et Singh (1981) ont documenté de quelle façon la récupération compose aussi des économies vibrantes et interdépendantes de l’économie formelle, au sein desquelles les déchets seront in fine transformés en matière valorisable. Pour le Kabariwallah (récupérateur indien), le Dong Nat au Vietnam ou le Pengepul en Indonésie (Bercegol, Cavé, Nguyen, 2018), les ordures ne sont pas considérées comme telles, mais bien comme des matériaux à valoriser et une source de revenu.  A cet égard, les villes asiatiques ont des « économies de déchets extensives » (Furedy, 1992) qui pourraient légitimement apparaitre comme l’une des solutions potentielles pour une gestion raisonnée des rejets urbains. En effet, culturellement imbriquée dans les pratiques locales quotidiennes, la récupération contribue à réduire la pression sur les ressources primaires tout en générant des activités économiques. Ainsi, en décentrant le regard, il est possible d’appréhender autrement ce secteur, non pas seulement en termes de pauvreté, mais aussi comme une solution potentielle encore sous-exploitée, qui diminuerait par-là la masse des ordures à enfouir tout en offrant des perspectives d’intégration socio-économique.

Au-delà du cas indien, il s’agit là de susciter le débat d’idées en suggérant que la fabrique de la ville durable pourrait se faire en soutenant le travail des recycleurs, dont la contribution socio-environnementale est plus que jamais légitime et nécessaire malgré l’ambivalence qu’elle suscite.

S’appuyant sur l’expertise du réseau de recherche français « Société Urbaine Déchets », les événements sont conçus dans une logique multi-partenariale et portent un intérêt tout particulier à la communication et à la valorisation auprès de la société civile en s’intégrant à une programmation culturelle pluridisciplinaire avec la mise en place d’une exposition de photographie et d’un site web associé ainsi qu’une page facebook pour recenser les nombreux débats dans plusieurs villes indiennes autour de la projection du film CNRS-IRD « The people of Waste » .

 

Les événements (en anglais et en hindi) ont rassemblés des récupérateurs comme lors de la projection du film dans le taudis d’Hanuman Mandir Mazdoor Camp, des acteurs de la société civile impliqués dans la gestion locale des déchets, des artistes comme le photographe Julien Hazemann, le graphiste Derik, le vidéaste Grant Davis et des experts invités comme  Meghna Malhotra (Deputy director Urban Management Centre, Ahmedabad), Surbhi Agarwal (directrice du Mussoorie Heritage Centre, Landour), Anant Mariganti (directeur du Hyderabad Urban Lab, université d’Hyderabad), Ravi Aggarwal (Toxic Links), et Swati Singh Sambial (UN-Habitat), Aravindhan Nagarajan d’Azim Prem University (Bangalore).

Les débats (en présentiel à Delhi, Hyderabad, Mussoorie, Ahmedabad, Bangalore) ont ainsi permis de rappeler au spectateur non seulement sa responsabilité de producteur, mais aussi et surtout le lien qu’il entretient avec cette société du déchet, à l’ombre de la société de consommation. Les débats qui résultent de permet in fine de montrer l’ambivalence du discours sur l’économie circulaire, qui concourt à légitimer la nécessité du recyclage sans remettre en cause la génération exponentielle de déchets.

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Débats et évènements organisés à Pondicherry, Ahmedabad et capture d’écran du site internet dédié (http://city-of-waste.societes-urbaines-et-dechets.org/) 

Responsable(s) du projet :

Dr. Rémi de Bercegol